Portrait du 1er secrétaire de la CFTC

Né le 15 juin 1887 à Paris (Ier arr.), mort le 8 août 1960 à Paris (XVe arr.) ; employé d’une maison de commerce ; secrétaire général de la Fédération des employés en 1914 ; secrétaire général puis président de la CFTC (1919-1953) ; secrétaire général de la Fédération internationale des syndicats chrétiens (1919) ; membre du Conseil national de la Résistance. Comme s’il avait été marqué par le destin,
Gaston Tessier est né le 15 juin 1887, c’est-à dire l’année même où était fondé, à Paris, le syndicat des employés du commerce et de l’industrie qui, trente ans plus tard, devait être le berceau du mouvement syndical chrétien français.

Sa mère était d’ascendance bretonne. Son père, ouvrier menuisier, était angevin. Sa jeunesse s’est écoulée à Paris, dans le quartier Saint-Honoré, « à l’ombre de l’église Saint-Roch », comme il l’a rappelé lui-même dans son livre L’âme du syndicalisme paru en 1956.
Gaston Tessier débuta dans la vie de travail comme petit employé aux appointements de 50 f par mois. Mais il consacra aussitôt l’essentiel de ses loisirs à élargir ses connaissances et à approfondir sa culture personnelle.

Il fréquenta assidûment les cercles d’études des oeuvres de jeunesse catholique de l’époque et notamment le Cercle Saint-Jean-Baptiste de la Salle, sorte de groupe d’études supérieures animé lui aussi par un Frère des Écoles chrétiennes au sein duquel il se forma à l’art oratoire. Gaston Tessier subit l’influence de Marc Sangnier, « jeune orateur déjà prestigieux », dont les conférences à la salle des Sociétés savantes attiraient des auditoires nombreux et souvent houleux. C’est le 18 septembre 1905 qu’il donna son adhésion au syndicat des employés du commerce et de l’industrie, alors âgé, comme lui-même, de dix-huit ans. Le syndicat recrutait encore exclusivement des travailleurs « notoirement catholiques », et tout nouvel adhérent devait être parrainé par deux anciens.

Les deux « parrains » de G. Tessier dans le syndicalisme furent ainsi : Jules Zirnheld, son aîné de dix ans, qui devait être élu président du syndicat au mois de janvier suivant, avant de devenir, quatorze ans plus tard, le premier président de la CFTC, et Charles Viennet, qui exerça la fonction de secrétaire général du syndicat à partir de 1907 et
qui, mobilisé en août 1914, devait disparaître au mois d’octobre suivant sur le champ de bataille. C’est en 1905 également que Gaston Tessier avait publié son premier article dans le Bulletin des oeuvres de jeunesse.

Déjà, il y avait évoqué « le bruit sourd, grandissant, des revendications prolétariennes ». Mais son premier article syndical parut en janvier 1906. Sous le titre « L’avenir de l’Employé », il y développait certaines considérations qui, à
un demi-siècle de distance, se sont révélées parfaitement exactes quant à la proportion sans cesse croissante d’employés — nous les désignons aujourd’hui sous le vocable plus général de travailleurs non manuels — que compterait le monde du travail sous l’influence du progrès technique et économique.

Dès lors, c’est de plus en plus fréquemment que le bulletin L’Employé, organe mensuel du syndicat, publia des articles du très jeune mais très dynamique « filleul » de Zirnheldet Viennet. La signature de Gaston Tessier figura le plus souvent au bas de comptes rendus des travaux de la Commission d’études du syndicat, où furent tour à tour abordés les problèmes qui dominent la vie des travailleurs et l’avenir du syndicalisme : salaires, repos hebdomadaire, contrat de travail, régime fiscal, conseils de prud’hommes, durée du travail, crises économiques et chômage, formation professionnelle, place du travail dans l’économie, participation aux bénéfices, organisation professionnelle, relations internationales, etc.

Il signa aussi, durant plusieurs années, une chronique des « Livres et revues », destinée à orienter les syndiqués désireux d’élargir et d’approfondir leurs connaissances.
Ces modestes tâches syndicales, accomplies pendant près de dix ans pour rendre service à ses camarades de travail, donnent l’explication, avec la mémoire exceptionnelle dont il était doué, de cette vaste culture personnelle de Gaston Tessier qui, quarante ou cinquante ans plus tard, devait étonner ses interlocuteurs, tant au Conseil d’État que
dans les autres organismes officiels où il fut amené à siéger, et qui le firent nommer, en 1954, docteur honoris causa du Manhattan Collège de New York.

C’est en 1908 que le chroniqueur du bulletin L’Employé fut nommé secrétaire général adjoint du syndicat, où il devait seconder Charles Viennet, car le nombre d’adhérents, au cours des trois années précédentes, était passé de 3500 à près de 5 000, et un seul permanent ne pouvait plus suffire à la tâche. Le 5 septembre 1908, le bulletin syndical publia un éditorial intitulé « Syndicalisme chrétien », dans lequel le futur secrétaire général de la CFTC — il avait alors vingt et un ans — révélait déjà les idées maîtresses qui orienteront son action pendant plus d’un demi-siècle.

En 1912, Gaston Tessier se vit confier des responsabilités encore plus étendues ; il accéda aux fonctions de secrétaire général des premiers syndicats ouvriers chrétiens de la région parisienne, mais son militantisme au sein de l’univers des employés n’en fut pas pour autant affaibli. Il prit une part active au congrès de fondation de la Fédération française des syndicats d’employés catholiques qui se tint les 11 et 12 mai 1913 et dont il devint, peu après, le secrétaire général.

En juin 1916, avec l’aide de quelques vieux militants, le transfert de l’ensemble des services syndicaux, de l’ancien siège du syndicat qui, depuis 1907 était situé boulevard Poissonnière, au nouveau siège qui marqua tant l’histoire du syndicalisme chrétien : la fameuse rue Cadet. Lorsque la CFTC se créa en 1919, Gaston Tessier était ainsi, déjà, un dirigeant syndical en vue. À la création de la nouvelle confédération, il fut nommé au poste de secrétaire général où il seconda Jules Zirnheld. Sa fonction « tribunicienne » devint alors encore plus patente. Au IIIe congrès de la CFTC (1922), il fut chargé de la présentation du rapport général, fait qui allait se répéter en 1924 En 1923, lors du IVe congrès, c’est encore lui qui exposa devant l’assemblée des délégués, la teneur et les effets attendus du « Plan de propagande » défini par la CFTC. Entre deux congrès, sa pratique de dirigeant syndical s’inscrivit dans le quotidien. Ici, le nouveau dirigeant confédéral consacra désormais son temps à diverses tâches et actions, aidé notamment par Jules Mennelet et Maurice Bouladoux mais aussi par l’assise que lui conférait son implantation dans les syndicats d’employés qui formaient l’ossature de la centrale catholique.

Gaston Tessier n’oeuvra pas moins afin de donner à la centrale une configuration plus homogène, définissant ainsi une première stratégie de centralisation des structures confortant l’autorité confédérale face aux pouvoirs des Unions régionales. Parallèlement aux questions de structures et à la liaison entre fédéralisme et centralisme, le jeune secrétaire général resta conscient des lacunes à combler sur le plan de la formation syndicale.

Dans les années trente, il appuya les initiatives que prit en l’occurrence Paul Vignaux* et qui donnèrent lieu à la création en 1938 des Écoles normales ouvrières, chargées de former militants et cadres syndicaux. Les activités d’organisateur de Gaston Tessier s’étendirent encore — et déjà — au niveau international. En 1920, il participa à la fondation de la Confédération internationale des syndicats chrétiens (CISC). Membre de son conseil, il fut également désigné en 1921, secrétaire général de la Fédération internationale des syndicats chrétiens d’employés.
En février 1927, Gaston Tessier et Jules Zirnheld se rendirent auprès des autorités du Vatican, pour plaider la cause de la CFTC et réfuter la soi-disant déviation marxiste dont on l’accusait. En juin 1929, les efforts des deux dirigeantssyndicaux aboutirent.

Homme d’organisation, Gaston Tessier fut aussi un homme de doctrine. A l’évidence, l’adoption des statuts de la CFTC lors de sa création — et notamment la question de « l’ouverture » du syndicat à toutes les travailleuses et tous les travailleurs quelles que soient leurs convictions personnelles et religieuses à condition qu’ils se sentissent en
accord avec les principes communs de l’inspiration chrétienne qui guidait la centrale —, ne contredisait nullement les conceptions du jeune secrétaire général. Dès 1908, ses premiers écrits préconisaient déjà une large ouverture du point de vue de l’adhésion aux syndicats catholiques.

L’évolution de la CFTC, qui comptait au début de la décennie, 600 syndicats et 80 000 membres, semblait marquer le pas. Pour son secrétaire général, il s’agissait dès lors de conforter les principes dont elle se réclamait en lui trouvant des relais qui pussent jouer au sein des représentations politiques qui traversaient la « Cité ». L’idée d’une grande famille démocrate-chrétienne, catholique et sociale naquit ainsi vers 1928-1929, la notion de « famille » regroupant syndicat, parti, associations devenant alors coutumière dans le langage et les écrits de Gaston Tessier. Au début des années vingt, il fut membre du Conseil supérieur du travail (section : administrations privées et commerce) ;

  • Dès 1921 il fut conseiller technique des délégués gouvernementaux à toutes les conférences internationales
    du travail ; il présenta devant le Conseil supérieur du travail, le premier projet d’Assurances sociales
  • En 1924, conseiller technique des délégués gouvernementaux à la 6e Conférence internationale du travail ;
  • En 1925, il siégea au Conseil national économique institué par Édouard Herriot ; Pie XI le nomma, chevalier de Saint-Grégoire-le-Grand
  • En 1931, à la Commission économique franco-allemande. Parallèlement, Gaston Tessier allait exercer jusqu’en 1932 des fonctions de conseiller prud’homme de la Seine. Dans le contexte de ces diverses fonctions, le secrétaire général de la CFTC, eut parfois l’occasion d’agir en vue de faits éminents qui marquèrent l’histoire sociale et celle du syndicalisme.
  • En 1934, il rapporta auprès de la Conférence internationale du travail, les conclusions de la commission de la réduction du temps de travail (les 40 heures). Ses activités de représentation syndicale ou institutionnelles, lui valurent l’octroi de distinctions religieuses ou étatiques.
  • En 1936, sur proposition du ministère du Travail, chevalier de la Légion d’honneur.
    A la veille de l’Occupation, Gaston Tessier apparaissait donc comme un dirigeant qui couvrait tout à la fois le champ des structures et de l’organisation de la CFTC, incarnait la doctrine sociale du catholicisme et représentait l’un des piliers d’une démocrate-chrétienne qui faisait ses premiers pas.
    En 1943, il fut délégué par le Comité de résistance des syndicats chrétiens auprès du Conseil national de la résistance (CNR) dirigé successivement par Jean Moulin, puis Georges Bidault, militant démocrate-chrétien. C’est au titre du Conseil de la résistance, qu’il siégea d’ailleurs à l’Assemblée consultative, où les organisations ouvrières étaient représentées comme telles.

Eté 1944, à la Libération, Gaston Tessier occupa la fonction de vice-président de la commission du Travail et des Affaires sociales et fut membre de la commission des Finances, au sein de l’Assemblée consultative provisoire, revenue dans un Paris désormais libéré. Il fut aussi en charge d’un problème alors crucial du point de vue du
quotidien des français : le ravitaillement. Il devint ainsi président de la commission ministérielle du Ravitaillement qui fut l’un des premiers services publics.

Mais surtout, pour lui, il s’agissait encore de reconstruire la CFTC et de préserver sa singularité doctrinale. En janvier 1944, Gaston Tessier, se félicitait de ce qu’in fine, la CFTC ait pu perdurer en dépit de la guerre : « En effet, survivre aux périodes de grandes crises, c’est bien quelque chose : c’est même l’essentiel. » Gaston Tessier semblait alors au zénith de sa vie de syndicaliste. Le petit employé effacé qui, à dix-huit ans à peine,
adhérait au SECI, qui était subjugué par la parole d’un Marc Sangnier, qui longtemps resta dans l’ombre d’un Jules Zirnheld, fut élu en congrès, le 17 mai 1948, président de la CFTC.

En 1951, il accomplit un long voyage en Amérique latine, l’un des bastions mondiaux du syndicalisme chrétien, qui le conduisit dans les principales métropoles concernées (Buenos Aires, Lima, Rio, Montevidéo, Bogota, Panama, etc.). En 1952, il succéda à Léon Jouhaux comme délégué ouvrier aux sessions annuelles de la Conférence internationale du travail. En France même, il reçut l’une des plus hautes distinctions de la Résistance : la médaille de la Résistance avec rosette et accéda au titre d’officier de la Légion d’honneur.

Favorable à l’ouverture de la CFTC, il s’avérait aussi intransigeant quant à la ligne doctrinale ; soucieux de fédéralisme et du respect du principe de subsidiarité, il put simultanément conduire une politique visant à mieux centraliser les structures et fonctionnement de la confédération et, se faisant, à conforter les sommets de l’appareil. Il s’éteignit à Paris, le 8 août 1960. D’autres, Joseph Sauty, Jacques Tessier, Jean Bornard, Alain Deleu, poursuivirent son oeuvre. Mais jamais, la CFTC ne retrouva l’audience qu’elle avait su naguère conquérir, en partie grâce « au filleul de Jules Zirnheld et de Charles Viennet ».

Partagez !