Réforme des retraites : pourquoi les femmes de la fonction publique sont désavantagées ?

Publié le 07/03/2023 • Par Claire Boulland • dans : A la une, A la Une RH, France, Toute l’actu RH

Les mesures en faveur de l’égalité professionnelle femmes-hommes annoncées par le ministre de la Fonction publique à la veille de la journée de mobilisation n’améliorent en rien la situation actuelle et les effets du projet, selon plusieurs syndicats.

Chiffres-clés

Taux de grévistes du 7 mars :
– Fonction publique d’État : 25,8 %     
– Fonction publique territoriale : 12,8 %   
– Fonction publique hospitalière : 7,1 % de participation (personnels grévistes absents) 14,6 % de mobilisation (personnels grévistes absents + personnels grévistes assignés)
Source : Ministère de la Transformation et de la Fonction publiques 

La journée internationale des droits des femmes, célébrée ce 8 mars, lendemain de mobilisation contre la réforme des retraites, est l’occasion de revenir sur la situation particulière des agentes de la fonction publique.

Selon l’étude d’impact de la réforme, les femmes françaises devraient voir leurs pensions augmenter grâce à la revalorisation du minimum à 1 200 euros (plus 1 % pour la génération d’avant 1966, plus 2,2 % pour celles d’après). En raison de leurs carrières hachées, elles devront toutefois travailler plus longtemps que les hommes. Ce que le gouvernement a fini par admettre du bout des lèvres : « Les femmes sont un peu pénalisées par le report de l’âge (…) Elles sont un peu plus impactées », a reconnu le 23 janvier le ministre des relations avec le Parlement, Franck Riester, sur Public sénat.

Leur départ en retraite est déjà en moyenne plus tardif (62 ans et 7 mois contre 62 ans), et leurs pensions plus faibles (40 % de moins, 28 % de différence avec les pensions de réversion). Mais avec le report de l’âge légal, les femmes devront travailler sept mois de plus en moyenne, contre cinq pour les hommes. L’écart sera encore plus important pour les femmes nées dans les années 1980, qui devront travailler huit mois supplémentaires, contre quatre pour les hommes.

Multiples raisons de l’appel à la mobilisation des agentes

Alors, de nombreuses organisations syndicales appelaient les femmes fonctionnaires à se mobiliser le 7 mars. Annick Fayard, secrétaire nationale de l’Unsa fonction publique développe ses arguments dans un podcast dédié, mis en ligne le 3 mars. Elle rappelle les paramètres de l’emploi des femmes de la fonction publique qui, in fine, ont déjà une incidence sur leur âge de départ à la retraite et leur niveau de pension : les temps incomplets ou partiels sont principalement occupés par des femmes et contraints pour les jeunes femmes et les plus de 50 ans. « Le complément de temps est consacré aux enfants ou l’aide d’un proche », note-t-elle, ajoutant qu’il y a davantage d’arrêts pour enfant malade.

Dans sa note de méthode datée du 22 juin 2022 sur les agents à temps non complets, le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) expliquait que ces derniers ne concernaient principalement que quelques métiers, essentiellement en milieu rural, et étaient effectivement exercés en grande partie par des femmes. « D’abord, les secrétaires de mairie et les agents de service polyvalents en milieu rural, ensuite, les métiers liés à l’animation au périscolaire, à l’accompagnement de l’enfant, la restauration scolaire, les métiers d’assistance à la personne (distribution des repas, aides à domicile) ou para-médicaux (aides éducatifs, orthophonistes…), mais il faut aussi inclure dans cette liste les enseignants artistiques ou en art plastique. »

S’agissant des temps partiels, le dernier rapport annuel sur l’état de la fonction publique pointe que sur 24 % d’agents de la fonction publique à temps partiel, 31 % sont des femmes. Les territoriales sont à 33 % à temps partiel dans la FPT.

Autre paramètre à considérer : les accidents de travail des femmes sont plus nombreux que ceux des hommes dans la fonction publique.

Il résulte de tout cela une durée de travail effective moindre que les hommes, développe Annick Fayard. Le même rapport annuel relève qu’en 2021, les hommes ont travaillé en moyenne 1 666 heures sur l’année, contre 1 574 pour les femmes (+ 92 heures). Les hommes effectuent également davantage d’heures supplémentaires que les femmes dans l’année : 26,2 heures de plus dans la fonction publique. 

« Ségrégation professionnelle » persistante

Dans le podcast de l’Unsa, Annick Fayard parle aussi de « ségrégation professionnelle » persistante. La CGT service publics relate plus particulièrement sur son site internet, ces chiffres concernant la FPT : les femmes sont majoritaires dans les filières sociales (95,5 %), médico-sociale (94,8 %), administrative (82,6 %), médico-technique (80,2 %) et animation (75 %)… « Des emplois à prédominance féminine tous sous-valorisés, y compris à qualification et diplôme égaux ! »

Quant aux postes à responsabilité, ils demeurent moins accessibles aux femmes qu’aux hommes. En 2020, si elles représentent 63 % des agents publics, elles ne représentaient que 43 % des agents de la catégorie A+. Dans une interview publiée le 6 mars par « Libération », le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini, annonce de nouveaux objectifs en la matière. D’ici la fin du quinquennat, le pourcentage de primo-nominations des femmes à des postes de direction doit être porté à 45 %, et 50 % pour les emplois pour lesquels le gouvernement est décisionnaire. Mais « il faut pour cela modifier la loi, et le ministre y travaille justement avec les délégations aux droits des femmes des deux chambres », précise son cabinet.

Rémunérations et primes

« Avec le gel du point d’indice et l’augmentation poids des primes dans la rémunération, les agentes subissent encore plus le gel. Elles ont les plus bas montants de prime et sont moins nombreuses à en avoir », rapporte encore Annick Fayard.

Pour mémoire, en janvier dernier, le ministre a confirmé que les pensions des fonctionnaires continueront d’être calculées sur leur seule rémunération indiciaire, tandis que leur partie indemnitaire (les primes) continuera, elle, de ne pas être prise en compte. La règle sur les six derniers mois en prenant uniquement en compte le traitement indiciaire prévaudra. Le gouvernement fait valoir que des fonctionnaires ont de faibles niveaux de primes, voire pas du tout. Ils seraient alors pénalisés si leurs primes étaient prises en compte dans le calcul de leur salaire.

Index égalité dans la fonction publique

Pour y voir plus clair sur les bulletins de salaire, le ministre a annoncé la création d’un index égalité dans la fonction publique, mesurant à la fois les inégalités de rémunération, de promotion, mais aussi celles concernant les postes de direction. Il s’appliquera à la fonction publique d’État dès 2023, et aux versants hospitaliers et territoriaux dès 2024. Des sanctions financières seront prononcées à l’encontre des administrations qui ne publient pas l’index ou qui ne prennent pas de mesures correctrices dans les trois ans.

L’association Dirigeantes et territoires avait été invitée à participer à la réflexion du gouvernement concernant cette transposition du privé. Dans sa contribution, elle estimait indispensable pour le calcul de la rémunération dans la FPT d’intégrer au calcul de la rémunération le Rifseep avec ses deux composantes : l’IFSE (part fixe) et le CIA (part variable).

Il lui semble aussi utile de poursuivre la discussion sur les compléments de rémunération, avec par exemple l’intégration du SFT. « On pourrait analyser s’il est principalement perçu par les hommes ou par les femmes. De plus, ce dernier étant calculé sur la base du traitement indiciaire, plus le salaire est élevé, plus le montant du SFT est important. Ainsi, lorsque les deux conjoints sont fonctionnaires ou agents publics, c’est celui qui a le salaire le plus élevé qui le percevra, sachant que le SFT est intégré au traitement indiciaire et compte pour le calcul du montant de la retraite. »

Mi-février, Pascal Kessler (FA-FP) estimait auprès de la Gazette qu’il faudrait que les congés maternités, comme les congés parentaux, « correspondent à des trimestres cotisés et validés » et qu’il « en soit de même pour les temps partiels imposés, la sur-cotisation étant à la charge de l’employeur ».

Pour conclure le podcast de l’Unsa fonction publique, Annick Fayard résume : « Cette réforme est clairement contre les femmes. Elle n’améliore en rien leur situation actuelle et accentue les différences. » Et de prédire : « Il y aura accentuation de la décote et le coefficient de proratisation [de la pension] va se dégrader. »

Prise en compte des fausses couches

Partant d’un constat sans appel – une femme qui subit une fausse couche vit non seulement des traumatismes physiques et psychologiques, mais aussi un coût financier – la Première ministre a annoncé la suppression du ou des jours de carence pour les congés maladie qui suivront des fausses couches.  Cette mesure devrait s’appliquer aux salariées, comme aux fonctionnaires, dès 2024.

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